Histoire

 
     

Le voyage en France

D'Express en Rapide - Après la splendeur des gorges tarnaises, le paysage reposant, l'atmosphère hygiénique de Landes.
Dax, 17 janvier

     

J'ai fait une rencontre charmante, à Bordeaux, mon cher Paul.... Je revenais des Causses, rassasié de grandeurs et d'aspects sauvages par les rives du Tarn. J'allais prendre en Gironde un petit vapeur qui mène les excursionnistes à la pointe de Grave, lorsque j'aperçus, tout près de l'embarcadère, la famille anglaise dont tu fis la connaissance avec moi, l'autre hiver, à Cannes.
Master Walter, sa fille Ena, son autre fille Nelly, son fils Bobby, Mistress Walter, absente, déjà partie pour Dax.
- Car nous allons à Dax, me dit Master Walter - (il prononce Dex)... seulement il fallait bien visiter Bordeaux pour obéir au guide. Bien joli, Bordeaux. Mais plus joli encore Dex. Venez-vous avec nous ?
- Yes, avec nous, répéta le chœur Ena-Nelly-Bobby ?- Yes, avec vous...

Et nous sommes partis, en chœur, mais pas directement. Master Walter voulait d'abord promener sa ronde et rouge personne dans un coin des Landes avant de s'embarquer sur la ligne Bordeaux-Pau.
Miss Ena, sans compter miss Nelly, qui n'est encore qu'une insignifiante petite pomme d'api, ambitionnait de fortifier, sous les pins, ses poumons afaiblis par les brumes de Londres. Mr Bobby n'avait qu'à se taire : ce qu'il fit.

Avec mes insulaires je pris donc le Bordeaux-Arcachon. Nous descendîmes, au bout d'un quart d'heure, à Marcheprime. Un incendie y détruisit, en 1898, pour cinq millions d'arbres. Mais il en reste, je te prie de le croire. Au pas allongé, ce fut tout de suite la promenade dans la forêt tiède, par les sentiers couverts, dans la fortifiante et salubre atmosphère de résine.
Des pins, des pins, des pins... jusqu'à plus soif, comme nous disons au régiment... Mais Miss Ena arpentait le sol tapissé de branchages avec une raideur de horse-guard, une vigueur de pâtre... Elle respirait sous l'étroite surveillance de monsieur son papa, régulièrement, longuement selon les principes de la Faculté.
Pour la première fois depuis bien des jours, la blonde Ena ne toussait pas. La marche prolongée ne lui causait aucune suffocation.

- C'est la première fois que nous venons par ici, me déclarait le pratique M. Walter. Ce ne sera pas la dernière. Aussitôt que Dex aura guéri les vieux, les jeunes reviendront aux Landes.... Tous les Anglais malades ou affaiblis prennent le Sud-Express pour aller guérir autour d'Arcachon. Les Français aussi, n'est-ce pas?
Je n'osais répondre que les Français ne connaissaient guère les beautés et les qualités de leur Sud-Ouest. Je complimentai miss Ena.
En vraie fille d'Albion, insoucieuse des nuances de langage, elle me répondit :
- Indeed, Master Clarisse, si je demeurais ici longtemps je voudrais vite marier moi...
M. Walter : - Oh ! Ena ! Ena !
Miss Ena : - Parce que je voudrais toujours marcher et que le footing n'était pas amusant toute seule...
Tu la reconnais, à présent, notre compagne des excursions anciennes ? Elle n'a voulu quitter la lande que le lendemain parce qu'elle n'avait pas vu d'échassier.

Et il a fallu coucher à Canogley, où l'on fut très bien, du reste, pour pouvoir gagner le lendemain les environs de Croix-d'Hins où il y avait des troupeaux. L'échasse fichée en terre et semblant de loin un héron gigantesque, assis sur son bâton comme sur une chaise, un berger tricotait des bas de laine, à dix mètres au-dessus du niveau de la mer...
L'impétueuse Ena le photographia à vingt reprises sans que le silencieux Landais eût seulement bougé.
- Et maintenant ? dis-je.
- En route pour Dax !`

Bordeaux. Nouvel espress. Deux heures de trajet. Et ce fut Dax, l'antique capitale des Tarbelli, l'Aquœ Tarbellicœ et la Civelex aqueuxtum des Romains. J'allai me reposer à l'hôtel. Mes Anglais étaient déjà à la Fontaine Chaude dont mistress Walter leur faisait les honneurs avec une volubilité vraiment extraordinaire. Je ne les retrouvai que le soir, aux thermes. Et nous allâmes près des Arènes, sous le clair de lune.

La "cité guérisseuse", comme on appelle Dax, est d'un calme admirable dans le bain de lumière bleutée que lui font la lune et le ciel. La douce brise, qui passe dans les allées parfumées comme celles d'un jardin, est chargée d'effluves salins, cadeau de l'Océan, et de senteurs balsamiques, envoyées par la plaine.

Je vais rester ici, mon Paul, une semaine au moins. On ne se lasse point du soleil et du pays bleu lorsqu'on sait que chaque jour vécu ici vous rend un peu de vos vingt ans, vous donne vigueur et santé pour toujours.
Malheureusement, ces jours-là passent vite. Mais tu ne me reverras quand même à la gare d'Orsay qu'après ma dernière randonnée : à l'embouchure de la Gironde.

A toi
Raymond Clarisse